Vast, Henri - L'Algérie et les colonies françaises.

Importante et riche documentation illustrée sur l'histoire des colonies française et de l'Algérie en particulier. Henri Vast examine la manière dont les nations européennes, en fonction de leurs ressources et populations, établissent des colonies. Selon lui, certaines nations, comme la France avec une faible natalité, sont davantage enclines à établir des colonies d'exploitation, tirant parti des populations locales sans une forte implantation européenne. Ces colonies sont souvent situées en Afrique ou en Asie, où la main-d'œuvre est abondante et bon marché. D'autres nations, avec une natalité plus élevée, peuvent choisir entre des colonies d'exploitation et des colonies de peuplement. L'expansion coloniale apporte des avantages à la fois pour les colonisateurs et les colonisés. Les métropoles européennes bénéficient de nouveaux marchés pour leurs produits, tandis que les populations locales bénéficient des avancées en matière d'éducation, d'infrastructure et de cessation de conflits locaux. Cependant, cette expansion n'est pas sans critiques, car elle implique souvent l'usage de la force et la domination de peuples autrefois indépendants. La France, en particulier, est présentée comme une nation coloniale humaniste et généreuse, soucieuse d'élever et d'éduquer ses sujets coloniaux. Malgré les critiques de la conquête coloniale, la France est décrite comme ayant une approche modérée et bienveillante envers ses colonies. Le livre promet d'explorer l'histoire et la géographie de chaque colonie française pour déterminer la meilleure forme de gouvernance et les méthodes optimales pour exploiter ses richesses.

Voici l'introduction complète de l'ouvrage :

C’est un préjugé qui perd de sa force, mais que l’on entend soutenir encore par beaucoup de nos contemporains, avec beaucoup d’autorité et une conviction sincère, que de dire que le Français n’est pas colonisateur; qu’il tente en vain de fonder un grand empire colonial ; que son immense labeur, que tant de sang répandu, que tant d’argent dépensé ne profiteront qu’à nos rivaux, Anglais ou Allemands, que nous travaillons pour leur marine et pour leur commerce; et qu’après avoir promené victorieusement notre drapeau dans une si grande partie du continent africain, et dans un si riche domaine de l’Asie, nous serons incapables de nous y installer à demeure, par le manque d’hommes, par l’attachement excessif au clocher natal, par le défaut d’esprit de suite de nos gouvernements, par l’extrême défiance de nos capitaux à l’égard des grandes entreprises industrielles et commerciales. Tous ces vices rédhibitoires constitueraient aux yeux de ces détracteurs passionnés une impuissance innée du Français pour la mise en valeur de son empire colonial.

 L’histoire proteste contre ces malveillantes allégations : elle proclame que nous possédons au plus haut degré quelques-unes des qualités les plus précieuses aux peuples colonisateurs: l’esprit d’aventure, l’initiative hardie, l’art de nous faire bien voir des indigènes et de les assimiler ; que nos gouvernements ont péché jusqu’ici surtout par inexpérience; que nos capitaux, très abondants, ne demandent qu’à être détournés vers des œuvres vraiment françaises, au lieu de se perdre dans des placements étrangers trop souvent néfastes; que si notre natalité est maintenant stationnaire, elle peut redevenir ce qu’elle était il y a deux siècles, ce qu’elle est encore au Canada et même dans notre Algérie actuelle; que d’ailleurs, nos colonies, situées pour la plupart dans la zone torride, se refusent au travail de la terre par des mains françaises ; que nos colons doivent seulement diriger la main-d’œuvre indigène et qu’il leur suffit d’être en petit nombre pour exploiter de très grands et très riches pays. Au reste un rapide coup d’œil jeté à travers notre histoire coloniale nous montrera ce qu’a fait notre France, et ce que, bien avertie et bien dirigée, elle est capable de faire à nouveau.

 Les croisades où la France a pris une si grande part ont été les aventures coloniales du temps. Les Normands de France, depuis Guillaume le Conquérant jusqu’à Jean de Béthencourt ont tenté les premiers établissements coloniaux. La race des preux s’est perpétuée en France depuis Jacques Cartier jusqu’à Dupleix ; depuis Champlain jusqu’à La Pérouse ; elle n’a pas disparu de nos jours : ils s’appellent Faidherbe et Courbet, Francis Garnier et Savorgnan de Brazza, Binger, Marchand et Gallieni.

 Vers le milieu du XVIII siècle, la France avait encore une grande avance sur l’Angleterre : l’empire des Indes semblait devoir lui échoir ; les deux grands fleuves de l’Amérique, le Saint-Laurent et le Mississippi, coulaient en terre française. Si la nation avait porté plus d’intérêt à ses beaux établissements coloniaux, si le gouvernement avait montré plus de vigueur et d'habileté, cette situation se serait maintenue. Les Anglais, grâce à leur vigilance et à leur ténacité, grâce à l'indifférence générale en France au XVIII siècle à l’égard des colonies, grâce surtout à l’impéritie du gouvernement de Louis XV, nous ont enlevé l’Inde malgré Dupleix, la Louisiane et le Canada, malgré Montcalm. Les désastres de la fin de l’Empire n’en ont plus laissé que de rares épaves : quelques comptoirs du Sénégal, la Réunion, les cinq villes de l’Inde, la Guyane, les Antilles françaises, Saint-Pierre et Miquelon. Si l’on fait abstraction de la Guyane, qui était inexplorée, l’ensemble de ces colonies couvrait une superficie inférieure à celle d’un département français. Il a fallu tout refaire : mais la politique coloniale s’est imposée à nos divers gouvernements, sans qu’ils en eussent conscience et par la force des choses.

 Déjà, en 1797, Talleyrand, l’élève de Choiseul, sur le point de devenir ministre, présentait à l’Institut son essai sur les avantages à retirer des colonies nouvelles. Il montrait la nécessité pour la France de porter son activité hors de l’Europe : « Tout presse, disait-il, de s'occuper de nouvelles colonies, l'exemple des peuples les plus sages, qui en ont fait un des grands moyens de tranquillité ; le besoin de préparer le remplacement de nos colonies actuelles pour ne pas nous trouver en arrière des événements; la convenance de placer la culture de nos denrées coloniales plus près de leurs vrais cultivateurs ; la nécessité de former avec les colonies les rapports les plus naturels, bien plus faciles sans doute dans les établissements nouveaux que dans les anciens ; l'avantage de ne pas nous laisser prévenir par une nation rivale, pour qui chacun de nos oublis, chacun de nos retards de ce genre est une conquête ; l’opinion des hommes éclairés qui ont porté leur attention et leurs recherches sur cet objet; enfin la douceur de pouvoir attacher à ces entreprises, tant d'hommes agités qui ont besoin de projets, tant d’hommes malheureux qui ont besoin d’espérance ». Ces paroles prophétiques constituaient un véritable programme d'action coloniale, qui s’est imposé d’abord malgré eux aux gouvernants de tous les régimes, et qui, depuis ces dernières années, devient l’action consciente de notre France.

 Sans doute, si Charles X fit l’expédition d’Alger, ce fut surtout pour sauver l'honneur de notre pavillon et pour faciliter la réussite du coup d’État contre la Charte. Cependant deux de ses ministres, Hyde de Neuville et Chabrol avaient déjà tenté de donner une organisation politique à ce qui restait de nos colonies. Si Louis-Philippe fut conduit à ne pas abandonner l’Algérie, c’est que l’opinion ne voulait pas donner à l’Angleterre cette satisfaction : c’est aussi par esprit de rivalité avec l'Angleterre, que le pavillon français fut planté sur quelques archipels océaniens et au Gabon. Mais notre domaine n’en fut pas moins solidement établi en Algérie et des postes précieux étaient occupés au loin. Sous l’Empire, des nécessités de conquête s’imposèrent : « Il fallait être maître partout en Algérie, écrivait très justement le général Daumas, sous peine de n’être en sécurité nulle part. » Le maréchal Randon acheva la soumission de la Kabylie ; Faidherbe ouvrit la route du Niger, tandis que Duveyrier négociait avec les Touareg et esquissait les premiers efforts en vue de la pénétration du Sahara ; enfin l’expédition de Chine eut pour conséquence immédiate l’occupation de la Cochinchine. Malheureusement, l'opinion ne faisait pas encore de différence entre ces expéditions utiles et les dispendieuses folies de la campagne du Mexique.

 Depuis 1870, l’empire colonial français a pris des développements considérables. De grands politiques, Gambetta, Jules Ferry, ont tracé la voie à la nation et encouru de leur vivant une injuste impopularité, en la dotant malgré elle d'importants territoires, qui sans eux eussent passé en des mains « "Il faut à la France une politique coloniale", disait Jules Ferry en 1886. "Toutes les parcelles de son domaine colonial, ses moindres épaves doivent être sacrées pour nous, d’abord parce que c’est un legs du passé, ensuite parce que c’est une réserve pour l’avenir. Il ne s’agit pas de l’avenir de demain, mais de l’avenir de cinquante ou cent ans, de l’avenir même de la patrie. Il est impossible, il serait détestable, antifrançais, d’interdire à la France une politique coloniale." »

 L’impulsion donnée n’a pas cessé. De nos jours, la France tout entière s’intéresse à son empire colonial et acclame avec chaleur ceux qui l’étendent ou le défendent. Un ministère spécial des colonies, qui est vraiment "le département des destinées futures et le siège de l’avenir de la nation", a été créé ; une chaire de géographie coloniale instituée à la Sorbonne ; une école coloniale ouverte ; une armée coloniale vient d’être constituée de toutes pièces. Nos généraux, nos marins, nos administrateurs civils luttent de bravoure et d’habileté dans les explorations et dans les conquêtes. La mode s’en mêle : et depuis qu’un prince de Bourbon et un duc d’Uzès en ont donné l’exemple, c’est un sport nouveau de franchir les hauts plateaux du Mékong ou de pénétrer dans la région du Tchad. Il dépend de nous-mêmes que ce bel élan continue et que notre domaine si étendu, mais encore fruste, devienne une suite de nouvelles Frances puissantes et prospères. Ce mouvement d’expansion hors d’Europe n’est pas particulier à notre pays : il est général et continu.

 Les questions coloniales prennent, dans les préoccupations des hommes d’État et des diplomates, la même importance que les questions européennes. Les nations recherchent à l’envi des terres vacantes ou se partagent les vieux empires en décomposition. C’est une lutte ardente à qui s’ouvrira de nouveaux marchés. Les causes de cette frénésie coloniale sont multiples. Il importe de les bien démêler pour bien comprendre cette histoire.

Les limites des États sont nettement fixées en Europe et garanties par de solennels traités. Les guerres européennes, suspendant désormais la vie des grandes nations, semblent devoir être plus rares qu’autrefois et ne s’engager dans l’avenir que pour des intérêts essentiellement vitaux. Les États avides de s’agrandir ont donc dû chercher au loin et hors d'Europe de larges champs d’expansion. Ils les ont trouvés dans le nouveau monde, très peu peuplé, comme dans l’ancien monde, où les indigènes ne savent pas encore mettre en valeur toutes leurs richesses.

 Les guerres coloniales sont faites le plus souvent contre des populations encore barbares ou sauvages qui refusent l’accès pacifique de leur territoire aux Européens. Elles forcent chaque nation à entretenir des troupes coloniales ; mais ces troupes deviennent un excellent noyau d’armée métropolitaine, et une école précieuse pour les officiers qui se forment ainsi à la guerre par une pratique constante. Les flottes gagnent aux entreprises coloniales des points d’appui sérieux, des dépôts de charbon convenablement placés dans les meilleures positions stratégiques. Les expéditions coloniales n’ont pas encore engendré de guerres européennes. Les Européens ont eu le bon sens de régler jusqu'ici par des congrès et des arbitrages leurs démêlés coloniaux les plus récents. Il semble admis désormais qu’une difficulté aux colonies ne doit pas entraîner une guerre européenne.

 Les conditions économiques nouvelles expliquent aussi la nécessité des entreprises coloniales. « Tout le monde aujourd’hui veut filer et tisser, forger et distiller. Toute l’Europe fabrique le sucre à outrance et prétend l’exporter. L’entrée « En scène des derniers venus de la grande industrie, les Etats-Unis, d’une part, l'Allemagne de l'autre ; l'avènement des petits Etats ; des peuples endormis ou épuisés ; de l'Italie régénérée ; de l'Espagne enrichie par les capitaux français ; de la Suisse si entreprenante et si avisée ; à la vie industrielle sous toutes ses formes, ont engagé l'occident tout entier, en attendant la Russie qui s’apprête et qui grandit, sur une pente que l’on ne remontera pas. » (J. Ferry, le Tonkin et la mère patrie.)

 L’industrie exige pour s'alimenter d’abondantes réserves de matières premières que les colonies produisent en grande quantité. Elle a besoin, pour absorber sa production toujours plus active, de réserves également larges de consommateurs. Les débouchés manquent en Europe ; les barrières douanières se multiplient ; chaque pays veut tout produire, vendre le plus possible à l’étranger et ne rien lui acheter. Les établissements coloniaux sont donc nécessaires pour augmenter le nombre des marchés ouverts à l'industrie et au commerce de la métropole : on a chance de créer ainsi de nouveaux courants commerciaux et des courants durables : une colonie, même séparée politiquement de sa métropole, continue de suivre ses mœurs et de s'alimenter de ses produits. Sans doute les entreprises coloniales sont coûteuses : elles nécessitent de longs crédits, beaucoup d’esprit de suite et de persévérance. Ce sont des placements à longue échéance, mais aussi les plus rémunérateurs si l'on sait préparer et attendre la moisson : » On peut affirmer, dit Stuart Mill, dans l'état actuel du monde, que la fondation des colonies est la meilleure affaire dans laquelle on puisse engager les capitaux d’un vieil et riche pays. »

 En outre, le tassement est excessif en France. La lutte pour la vie y devient chaque jour plus difficile ; elle nécessite une somme toujours plus grande d’efforts pour de plus minces résultats. Les places, même les moins souhaitables, au banquet de la vie y sont disputées avec acharnement. En France, il y a trop d’hommes qui attendent la propriété ; aux colonies, il y a, au contraire, des richesses inexploitées qui attendent l'homme ; le travail abonde, l’initiative hardie et tenace mène à la fortune. L’émigration française, sans plus affaiblir notre nation qu’un saignement ne le ferait à un individu, peut donc porter au loin des essaims de travailleurs vigoureux et actifs, qui trouvent des facilités de réussite que leur refuse l'encombrement de toutes les carrières au pays natal. Non pas que le monde appartienne aux aventuriers qui l’explorent ou aux curieux qui le parcourent. Les colons doivent s’armer de patience et se persuader qu'il leur faut peiner durement pour réussir. Mais ils doivent trouver plus facilement qu’en France l’emploi de leur intelligence et de leur énergie : les colonies peuvent et doivent offrir un refuge aux déshérités ; conjurer en partie la lutte des classes et les dangers de la révolution sociale.

 L'intérêt politique et social, la prospérité économique des grandes nations européennes sont donc également engagés dans les entreprises coloniales. L’essaimage au loin des nationaux augmente la force et l'instruction de l'armée et de la marine, étend le domaine de la langue et crée de nouvelles patries à l'image de la patrie mère : « Un peuple qui colonise, c'est un peuple qui jette les assises de sa grandeur dans l’avenir et de sa suprématie future. » (Leroy-Beaulieu.)

 Toutefois, avant de coloniser, un peuple doit se bien rendre compte du meilleur emploi à faire de ses colons et de ses capitaux. Ceux qui ont peu de capitaux et une population surabondante iront dans le nouveau monde fonder des colonies de peuplement. L’Australie et l'Amérique ont, en effet, une population très clairsemée. Les indigènes sont des sauvages restés encore aux derniers échelons de L’espèce humaine. Ils vivent de chasse et de pêche, presque nus, n'adoptent de la civilisation européenne que l’ivrognerie. Ils ont d’immenses étendues de terre qu’ils n’arriveraient pas seuls à mettre en valeur, en les supposant même capables d'un travail intelligent. Les Européens ont trouvé et trouvent encore dans ces pays des terres à bon marché, de riches mines inexploitées. Ils peuvent s’y fixer en grand nombre, se substituer aux indigènes. Ceux-ci ont été pendant longtemps victimes de traitements barbares, ils achèvent désormais de disparaître par le simple effet de la sélection naturelle. Le nouveau monde est donc devenu une succursale de l’Europe. Les Européens y fondent des États, dotés d’institutions européennes. Les Espagnols et les Portugais en ont été les premiers pionniers. Leurs descendants occupent encore toute l’Amérique latine. Les Anglo-Saxons, venus plus tard, ont créé les florissants États de l’Amérique du Nord et de l'Australie. Les États-Unis, les Républiques espagnoles et le Brésil se sont déjà séparés de leurs métropoles respectives. Les autres colonies anglo-saxonnes arriveront aussi, dans un temps plus ou moins éloigné, à vivre de leur vie propre.

 Les peuples qui ont beaucoup de capitaux et peu de population iront au contraire fonder des colonies d’exploitation, et de préférence dans l'ancien monde. Les populations de l'Afrique et surtout de l'Asie forment, en effet, des groupes suffisamment compacts et résistants, très condensés dans certaines parties et constitués en empires presque vénérables par leur durée ; partout ailleurs susceptibles d'arriver à un niveau plus élevé de civilisation au contact de races supérieures. Dans ces pays, les Européens ne peuvent songer à se substituer complètement aux indigènes ; ils ne peuvent être que des chefs et des guides. La terre est mal travaillée, l'industrie est dans l'enfance ; les voies de pénétration sont à l’état rudimentaire. Que les Européens viennent là exercer les fonctions de contremaîtres, d'ingénieurs, de directeurs d’exploitation, tout changera bientôt. Les richesses naturelles seront mises en valeur par la main-d’œuvre indigène qui est à très bas prix, sous la surveillance largement payée des chefs européens.

 Les Français ne peuvent, à cause de leur très faible natalité actuelle, fonder d’autres établissements que des colonies d'exploitation. C’est le caractère de leur empire indo-chinois et de leurs grands établissements d'Afrique. Les Anglo-Saxons, les Allemands, les Italiens et les Russes, dont la natalité est beaucoup plus forte, ont au contraire le choix. Dans l’Inde, les Anglais ont leur plus belle colonie d’exploitation ; mais ils se portent avec non moins d’ardeur vers les solitudes du Canada et de l'Amérique. Les Allemands ont leurs colonies officielles en Afrique et leur émigration la plus abondante vers l’Amérique. Les Russes s’agrandissent de proche en proche dans toute l’Asie du Nord et dans l’Asie centrale ; les Italiens préfèrent l'Amérique latine à leur colonie mort-née de l'Erythrée. Les Belges ont choisi une partie de l’Afrique très étendue et relativement peu peuplée, qu'ils exploitent au lieu de s’y établir en masse, à cause des difficultés de l’acclimatation. C'est, dans ces dernières années, une véritable course effrénée à la poursuite des terres vacantes et de la mise en tutelle des États indigènes, trop faibles pour sauvegarder leur autonomie.

 Grâce à Jules Ferry, l'heure opportune a été saisie ; et nous pourrons dans l'avenir, comme le dit M. Hanotaux, « sauvegarder notre langue, nos mœurs, notre idéal, le renom français et latin parmi l'impétueuse concurrence des autres races, toutes en marche sur les mêmes chemins ».

 Tout le monde profite de cette expansion coloniale. Les métropoles, après les sacrifices souvent prolongés, nécessaires à la mise en valeur, y trouvent de riches marchés pour l'approvisionnement de leur industrie et pour l'écoulement de leurs produits manufacturés. Les peuples soumis gagnent plus encore à cette association féconde avec leurs aînés dans la vie civilisée. Le temps n’est plus des Cortez et des Pizarre qui massacraient systématiquement les indigènes ; aujourd'hui, chaque État européen les protège, extirpe chez eux l'esclavage, fait cesser les guerres privées, fonde en pays soumis des écoles, multiplie les voies de communication et met en exploitation toutes les richesses naturelles. L’Européen sait qu'il n'y a désormais pour lui ni profit, ni honneur, s'il n’élève peu à peu jusqu’à lui les indigènes.

 Dans ses entreprises coloniales, la France recherche le profit, et elle aurait bien tort de sacrifier, sans espoir d’aucun avantage matériel, le sang et l’argent de ses enfants. Mais elle poursuit aussi l'honneur : elle est toujours la nation généreuse et humaine par excellence et elle se distingue entre toutes les autres par son désir d’attirer à elle les cœurs de ses sujets et de les élever par l’instruction, par la moralité, par le bien-être. Des protestations, souvent plus généreuses que bien fondées, s’élèvent contre les excès irréparables de la conquête. Sans doute, il a fallu s'établir par la force chez des peuples jusque-là indépendants. Mais ces peuples avaient commencé par maltraiter nos nationaux, ou avaient trahi notre gouvernement. La longanimité de nos hommes d'État a été grande. L'opinion n’a adhéré qu’avec une extrême réserve aux expéditions lointaines. Mais, une fois la conquête achevée, nul autre peuple n’a plus de sollicitude pour ses sujets de toute couleur, ne défend avec plus de désintéressement leurs droits, ne s’intéresse avec plus d’ardeur à leurs progrès. Nos explorateurs, nos généraux, nos administrateurs sont les plus modérés et les plus humains. La France peut envisager, je ne dis pas sans remords, mais avec un légitime orgueil, son œuvre coloniale.

 Nous nous attacherons à tracer dans notre étude l’histoire naturelle de chacune de nos colonies pour montrer, une fois le milieu géographique bien connu, quel est pour chacune le meilleur mode de gouvernement et quelles sont les conditions les mieux appropriées à la mise en valeur de ses richesses.

 

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